Corsaires, flibustiers et pirates

Il y a des différences essentielles entre un corsaire, un flibustier, un boucanier et un pirate, ce n'est pas pour autant qu'elles sont bien connues, en particulier du grand public.

Quelques généralités.
 
Corsaires
 
Vous connaissez, ce n’est donc qu’un rappel pour mémoire.
 
Le corsaire est un armateur, un capitaine et son équipage, tous civils, agissant pour le compte d'une nation pour attaquer, prendre et/ou détruire les navires de commerce d'une nation ennemie, la marine de guerre se chargeant des opérations militaires (même si un navire corsaire peut, à l'occasion, combattre un bâtiment de guerre de sa force). Le souverain lui octroie une lettre patente dite lettre de marque ou lettre de course. Le corsaire est soumis à un certain nombre de règles strictes dont le non-respect peut lui valoir de se la voir retirer. Nous avons déjà évoqué ici l’obligation de hisser ses couleurs nationales avant d’engager un combat.
 
Capturé, le corsaire bénéficie du statut de prisonnier de guerre. Son action a donc pour but principal d'affaiblir économiquement l'ennemi.
 
Son intérêt n’est pas de détruire le navire ennemi, mais de le capturer et de le ramener à son port d’attache où le Tribunal des prises déterminera la valeur du navire et celle de sa cargaison, la vente de l’un et l’autre s’effectuant indépendamment. Sur le produit de la vente l’État réserve sa part, non négligeable, le reste est partagé entre l’armateur, le capitaine et ses officiers, l’équipage selon une répartition connue et acceptée par avance.

A l'exception de quelques cas comme le Bonhomme Richard ex Duc de Duras, un vaisseau de la Compagnie des Indes de 900 tx offert par la France aux Insurgents américains, les navires corsaires ne sont pas de grosses unités. La vitesse et la manœuvrabilité sont avant tout recherchées, on s'oriente donc vers les sloops, les cotres. De même, la cible étant les navires au commerce, armés mais faiblement, l'armement n'est pas de gros calibre et peut même être fabriqué "sur mesure" comme les caronades de 9 du cotre Le Renard, à la demande de l'armateur.

Quelques corsaires, comme Robert Surcouf, feront fortune, mais ce sont des cas isolés.
 
En Méditerranée, la guerre de course s'appelle le corso. C'est la même chose, mais il s'y ajoute la notion religieuse de lutte de la Chrétienté contre l'Islam et les corsaires des uns sont des pirates pour les autres.
 
Les corsaires joueront un rôle important dans la guerre d’Indépendance d’Amérique. Les Insurgents n’ont pas de marine de guerre comme les États constitués. Chaque état de la future Union entretiendra sa flotte de corsaires indépendamment des autres. Le plus célèbre d’entre-eux étant John Paul Jones.
 
Le problème de cette activité légale est d’être dépendante de la politique des Nations. Il suffit que les belligérants décident de signer la paix et les corsaires se retrouvent sur le carreau. Ils ont, bien sûr, la possibilité de trouver un embarquement sur un navire au commerce ou de s’engager dans la marine de guerre (si tant est qu’elle ait besoin d’hommes), mais ils sont mal payés.
 
Pour ceux qui ont le goût de l’aventure et qui exercent dans tout le bassin caribéen ou plus tard l’océan Indien, reste l’opportunité de la flibusterie.

Bonjour Andy,

merci pour ce sujet passionnant.

Être considéré comme prisonnier de guerre signifie ne pas risquer la pendaison pour fait de piraterie.

Louis Garneray est capturé en 1806, mauvaise époque car il n'y aura pas de paix entre la France et l'Angleterre qui permettrait le retour des prisonniers, avant la première abdication de Napoléon. D'autre part, il y a surpopulation carcérale qui oblige à en parquer bon nombre sur les pontons, ce qui, en temps ordinaire, n'est pas le cas. En effet, en dehors des circonstances particulières évoquées, 85 % des prisonniers passent leur captivité dans les "dépôts" portuaires, où les conditions de vie sont nettement meilleures. Le ponton, lui, est réservé à la lie des équipages, voleurs, meurtriers ainsi qu'aux multi-récidivistes de l'évasion.

J'ajoute que Garneray est un matelot lambda et que rien n'incite à l'échanger contre des captifs anglais.

La Révolution a changé bien des choses, y compris pour les officiers captifs. Sous l'Ancien Régime, ils sont en résidence surveillée (enfin de loin, puisqu'ils sont libres de leurs mouvements), sur parole, dans des bourgs de préférence éloignés des côtes, vous verrez pourquoi. Inconvénient, ils doivent subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens. Pour ce faire, ils donnent des cours de français, de dance, de musique et... ils sont tous nobles. Or par le jeu d'alliances matrimoniales, beaucoup comptent des "parents" plus ou moins éloignés chez "l'ennemi", qui leur prêteront assistance, par exemple en servant d'intermédiaire pour leur faire parvenir l'argent envoyé par la famille française par le biais d'un pays neutre.

Ces officiers, personnes de qualité ayant reçu une solide éducation, parlant plus ou moins bien l'anglais qu'il ont appris à l'école des Gardes de Marine, sont appréciés de la population de leur lieu de résidence forcée. Au point que l'on connait des cas où les habitants leur fourniront le moyen de s'évader en leur procurant une embarcation.

Ils ne restent pas huit ans en captivité. Jean François Renaudin, commandant du Vengeur du Peuple qui amène son pavillon après s'être vaillamment battu, le 1er juin 1794, sera échangé mi-août.

Dans les dépôts, les prisonniers talentueux fabriquent des maquettes, sculptent ou font de la gravure sur os, les scrimshaws, qu'ils vendent aux bons bourgeois du port qui viennent régulièrement y faire leur marché. Ce faisant, ils améliorent leurs conditions de détention.

Je précise que Louis Garneray a publié ses mémoires : "mes Pontons"

Flibustiers
 
Le flibustier s'attaque dans les mêmes conditions à tous les navires au commerce, quelle que soit leur nationalité à l'exception de ceux du pays auquel il appartient. Il peut également servir des intérêts privés. Les Compagnies des Indes, toutes nations confondues, ne se gênent pas pour entretenir des flibustiers dont le rôle est de porter atteinte économiquement à leurs concurrents. Au contraire des corsaires, ils ne respectent pas les lois de la guerre et non contents de sévir sur mer, ils organisent des expéditions à terre. Comme le chœur du premier acte des Brigands d’Offenbach, ils pourraient chanter vole, vole, pille, vole, vole autant que tu pourras. Ils se rassemblent, parfois plusieurs centaines, volent des embarcations de toute nature et font une descente. Cela donne lieu à des viols, des pillages, des massacres de populations et les villes sont incendiées. Rien n’est épargné.

La France est en paix avec l’Espagne et l’Angleterre ? Qu’importe. Ils trouveront bien la colonie pas trop regardante d’un pays en délicatesse avec ces nations. On négocie avec le gouverneur qui leur accorde moyennant finance et au nom de son roi qui n’est pas au courant, une lettre de marque. Munis du précieux sésame, ils pourront, leur expédition terminée, retourner tranquillement au Cap Français pour y vendre leur butin, entretenir et ravitailler les bâtiments qu’ils souhaitent conserver. Le gouverneur français n’est pas dupe, mais il ferme les yeux, tandis qu’il ouvre grand ses poches, la probité n’étant pas sa vertu dominante.
 
Une particularité des flibustiers. Ils s'associent souvent en binôme. Pendant que l'un part en expédition, l'autre reste à terre, tenant commerce. Ainsi, si la campagne s'avère infructueuse, le binôme a malgré tout de quoi survivre financièrement.

Les Frères de la Côte sont à l'origine une communauté de flibustiers établie sur l'Île de la Tortue (aujourd'hui en Haïti).
 
L’âge d’or de la flibuste, c’est XVIe, XVIIe siècle.
 
Mais cela finit par créer des tensions diplomatiques, qui amènent les grandes puissances maritimes à proscrire la flibuste.  
 
Reste alors une seule possibilité à ceux qui ne savent vivre qu'en aventuriers : la piraterie.
 
Les boucaniers
 
Leur présence se limite à l’île d’Hispaniola (Saint-Domingue) que se partagent Espagnols et Français.
 
Ce sont des coureurs des bois. Ils vivent de la chasse, de la vente de la viande qu’ils fument et de celle des peaux. Se déplaçant généralement par deux, vivant dans des campements mobiles de fortune, ils sont accompagnés de leurs valets, des engagés pour 3 ans qu’ils font venir de France. Contrairement à M’sieu Fernand, l’homme de la pampa, parfois rude mais toujours courtois, les boucaniers ne le sont guère. Quand ils ne trouvent pas d’accord à l’amiable, ils règlent leurs différends en duel, au fusil. S’il s’en suit un mort, il est examiné par un chirurgien et si celui-ci constate, par exemple, que la balle a été tirée de dos, le coupable est attaché à un arbre et on lui fracasse la tête d’un coup de fusil.

Comme les Français, les Espagnols ont leurs propres boucaniers, les matadores, littéralement les tueurs. Si les premiers chassent au fusil, les seconds se servent de lances. Et ils ne chassent pas que le bœuf et le sanglier, mais aussi le boucanier. Les conflits, les assassinats sont permanents et vont croissant. Ne parvenant pas à se débarrasser de leurs concurrents français, les matadores finiront par exterminer le gibier, ce qui mettra un terme au boucan français. On est à la toute fin du XVIIe siècle.
 
Les boucaniers n’ont plus que deux alternatives, soit ils se reconvertissent dans les activités traditionnelles des colons, soit ils deviennent flibustiers. D’où la confusion dans l’esprit du public entre les termes boucanier, flibustier, pirate.

Très instructif merci.

Merci Andy pour cette précision sur les termes et les réalités qu'ils recouvrent.

Nous ici ont a notre Héro national
Pierre Le Moyne d’Iberville tout un numéro le gus

Oui, Iberville, c'est un bon. Mais lui fait dans la légalité et ses exploits lui vaudront d'être fait chevalier de l'Ordre de Saint Louis.


Les pirates.
 
Il y a bien sûr la crapule de base attirée par l'appât du gain et les flibustiers en reconversion, mais pas seulement. S'ajoutent tous ceux qui aspirent à vivre libre. Les nombreux déserteurs de la Royal Navy ou les esclaves africains qui y trouvent le moyen de recouvrer leur liberté. Esclaves marrons ou captifs dont le navire négrier a été capturé. Un tiers des pirates de la zone américaine sont des Noirs.
 
Cela ne signifie pas pour autant que les pirates soient anti-esclavagistes. Dans le cas particulier de la capture d’un négrier, ils offrent aux captifs* la possibilité de se joindre à eux (encore faut-il que l’un des leurs en parle la langue). Ceux qui acceptent redeviennent des hommes libres, pas les autres. Lorsque Barbe-Noire arraisonne la Concorde, il laisse au capitaine le bâtiment avec lequel il l’a attaqué et un tiers de sa cargaison humaine, pour qu’il n’ait pas fait le voyage pour rien.
 
La carrière de pirate est brève, en moyenne deux/trois ans, et souvent elle se termine mal. Tué au combat, pendu. Les plus malins profitent d’une amnistie. C’est le cas de Benjamin Hornigold. Il se retire des affaires et devient, c’est un comble, chasseur de pirates. L’amnistie, c’est tentant, mais encore faut-il avoir les moyens de sa subsistance et le pirate est connu pour dépenser tout ce qu’il gagne à picoler dans les tripots, avec les filles et au jeu. Certains acceptent, mais c'est pour mieux récidiver. Et là, en cas de capture, c’est la corde.
 
Les pirates ont une organisation codifiée qui leur est propre, la chasse-partie.
 
Le capitaine est élu par l’équipage qui peut le démettre à tout moment.

C’est lui et un collège choisi par l’équipage qui définissent ensemble les termes de la chasse-partie avant de la lui soumettre pour approbation. Elle définit entre autres les récompenses, celle, par exemple, attribuée à « celui qui découvre la prise que l’on fait » (100 écus). Mais aussi les indemnisations perçues en cas d’invalidité, conséquence d’un combat. La perte d’un œil, d’un doigt ou d’une oreille est évaluée à 100 écus ou un esclave, le bénéficiaire ayant le libre choix entre ces deux options. Et bien sûr selon la gravité de la blessure ou de l'invalidité, cela monte en gamme.

La charte-partie étant adoptée, les hommes s’assemblent par deux afin de veiller l’un sur l’autre durant le combat et de se prêter assistance quand l’un d’eux est blessé ou malade. Ils se lient par un écrit sous seing privé, tenant lieu de testament et stipulant que si l’un meurt, ce qui lui appartient revient à l’autre. Ce contrat peut être pérenne ou n’être valable que pour la durée d’une expédition.

Cette société se distingue de celle traditionnelle et légale par ses aspects démocratique, social et égalitaire. Ce n’est pas pour autant qu’elle se constitue en collectivité. La « république des pirates », Libertalia, est une utopie littéraire sortie de l’imagination de Daniel Defoe qui, pour l’occasion, écrit sous pseudo.
 
Autre particularité de nos aimables crapules, ce sont de bons croyants. Avant chaque repas les Français, catholiques, disent le cantique de Zacharie, tandis que les Anglais qui appartiennent à la « religion prétendument réformée » lisent les psaumes. Par parenthèse, les Protestants envoyés aux galères sont définis comme RPR (ce qui ne les oblige pas à aimer la bière et la tête de veau sauce gribiche).

Pour prendre la proie convoitée, les pirates agissent souvent par ruse. Ils font gîter leur bâtiment et désorganisent la voilure pour laisser penser qu’ils sont en détresse et appellent au secours. Autre technique, l’équipage s’allonge sur le pont pour faire croire qu’il n’y a que quelques hommes à bord ou il se déguise, par exemple en endossant les uniformes de la très honorable Armada (marine de guerre) espagnole. Ils agissent aussi par intimidation comme Barbe Noire qui porte des allumettes enflammées sur son chapeau. Joint à leur réputation qu’iles entretiennent avec soin, cela suffit au navire marchand convoité pour se rendre sans résistance. Les pirates ne s’attaquent pas à des navires puissamment armés. Que le chevalier François de Hadoque voit sa Licorne capturée par une modeste galiote, prouve que c’est un gland.
 
En dehors de la rencontre avec quelques sadiques comme Monbars l’Exterminateur ou François l’Olonnais, l’arraisonnement se passe bien si les victimes se montrent coopératives. Le plus gros risque est pour les officiers du bord, car eux savent quelles marchandises de valeur, transporte leur navire. Barbe noire, encore lui, n'a jamais blessé ou tué un prisonnier.

Le reste, c’est de la littérature ou les délires hollywoodiens.
 
La grande piraterie caribéenne que nous connaissons, celle de Barbe Noire, Jack Rackham, et tant d'autres s'achève en 1722, avec la mort de Bartholomew Roberts, qui déjà, sous la pression des grandes puissances maritimes, cherche à se délocaliser. On la retrouvera dans l'Océan Indien.

Le sujet est vaste et beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.
 

* Captif. C’est le terme employé pour désigner un Africain tant qu’il n’a pas été vendu à destination. Ce n'est qu'après qu'il est dénommé esclave.

Merci Andy pour ces précisions à propos des pirates.

La Traite continuera jusqu'au début du XXème siècle avec les transport des "Merles" à destination de la papouasie et du nord de l'Australie. Voir à ce sujet le livre du commandant Lacroix sur ce sujet que l'on ne trouve que chez de très bon bouquinistes ou des antiquaires

Andy a écrit:Oui, Iberville, c'est un bon. Mais lui fait dans la légalité et ses exploits lui vaudront d'être fait chevalier de l'Ordre de Saint Louis.

Hum pas tout à fait un bon
Il ne ce gainais pas pour trafiquer de tous les bords et il n’était pas trop honnête le gus
Il avait juste de très bonne connexion