Le Beaumont, vaisseau de la Compagnie des Indes

Lundi 15 avril, je me suis rendu au musée de Dieppe, missionné par Patrick Villiers, notre grand historien de Marine, pour effectuer des relevés sur le modèle du Beaumont, un vaisseau de la Compagnie des Indes, que je vous présente avec ce sujet.

Mais d’abord, un petit rappel historique.

En 1492, lorsque Christophe Colomb découvre les Bahamas et les Antilles, deux puissances règnent sur les mers : la Castille et le Portugal. Sous l’égide du Pape, elles vont se partager le monde par le traité de Tordesillas, 1494. Toutes les terres découvertes à l’ouest du méridien passant à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert reviennent à la Castille, toutes celles découvertes à l’est, au Portugal.

Le traité de Saragosse, 1529, fera de même pour le Pacifique
.
Bien entendu, l’Angleterre et la France, non signataires de ces traités, s’empresseront de ne pas les respecter. De même à la toute fin du XVIe siècle, la toute nouvelle République des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas, la Hollande.

Ces trois nations, bien décidées à exploiter pour leur compte l’énorme potentiel économique que représente l’Asie (épices, soie et autres tissus précieux, porcelaine) vont y établir des comptoirs, voire coloniser des pays entiers, et pour gérer le commerce et le transport des marchandises, elles vont créer les Compagnies des Indes.

1600 – East India Company (EIC) pour l’Angleterre.
1602 – Vereenigde Oostindische Compagnie (VOC), Compagnie unie des Indes orientales pour les Provinces-Unies.
1664 – Compagnie des Indes orientales pour la France, qui a toujours un métro de retard.

Ces compagnies chapeautées par l’État ont le monopole du commerce sur la vaste zone qui leur est attribuée. Pour ce faire, elles se dotent chacune d’une importante flotte de bâtiments de bas-bord, les frégates, et de bâtiments de haut-bord, les vaisseaux, catégorie à laquelle appartient le Beaumont.

C'est un vaisseau de 900 tx, longueur 145 p 3 po (44.75 m), architecte naval François Caro, lancé à Lorient, siège de la Compagnie en 1762. Il est armé de 26 canons de 12 (traditionnellement les Français ne comptent pas l'artillerie des gaillards).

Le modèle du musée est au 1/24e. Il mesure 191.3 cm entre perpendiculaires d'étrave et d'étambot.



Seule la batterie haute est armée. Par beau temps les sabords de la batterie inférieure sont ouverts pour l'aération.



Figure de proue anthropomorphe du Verseau qui verse sur le monde l'eau de la connaissance et de l'esprit.



La grande rue.



Au pied du grand-mât les pompes puis à l'arrière plan le gaillard arrière avec la timonerie. l'artillerie est simpliste, les affûts ne sont pas montés sur roues et le calibre est identique pour la batterie et le gaillard AR.



Bouteille bâbord (toilettes des officiers). La galerie du balcon se prolonge au dessus de la boteille, formant le jardin.



Le tableau arrière et les sabords de charge.

Merci Andy pour cette présentation très instructive.

Merci Andy pour ce montage
Dommage qu’il n’a pas été protégé de la poussière 

Charles, tu verrais le musée du Palais des Doges à Venise c'est "Polveré" à tous les étages... 

Effectivement, il est poussiéreux et pourtant il n'a été extrait de son énorme vitrine qu'à l'occasion de mon passage. Mission qui a failli ne pas avoir lieu, le fabricant de ladite vitrine auquel Pierre Ickowicz, le conservateur, s'était adressé, voulant lui taper 1 000 € pour en démonter la face avant. M. Ickowicz lui ayant fait remarquer qu'il n'était pas près de lui confier d'autres commandes alors qu'il attend le modèle de l'Istamboul, un navire au commerce du XIXe siècle, le fabricant a fini par accepter de le faire gratos.

On peut remercier Pierre Ickowicz pour sa persévérance et sa volonté de prêter assistance à Patrick Villiers qui travaille à la rédaction d'un ouvrage sur la Compagnie des Indes. Ce n'est pas le cas de tous les conservateurs. Patrick Villiers, dont je suis le correcteur-relecteur des bouquins qu'il publie chez ANCRE, s'est, en toute bonne logique, d'abord adressé au musée de Lorient dédié à la Compagnie des Indes. La conservatrice a épuisé toutes les fausses barbes possibles pour ne pas l'aider. Raison pour laquelle il s'est tourné vers ce petit musée, sachant qu'il s'y trouvait un modèle.

C'est ainsi qu'un jour et pour l'anecdote, Patrick m'appelle, m'explique son problème et me dit : J'ai dit à M. Ickowicz que c'est toi qui viendra faire l'examen du Beaumont et les relevés. Il ajoute en rigolant : bon, j'aurais sans doute pu te demander ton accord avant.

Ceci pour dire que le travail des historiens de Marine, grâce auxquels nous pouvons tout connaître de nos modèles, est loin d'être un long fleuve tranquille.je développerai le sujet ultérieurement.

Poursuivons.



Vous remarquez que bien qu'il s'agisse d'un navire au commerce, le Beaumont arbore le pavillon royal. La Compagnie des Indes a des pouvoirs étendus. Son statut l'autorise à nommer des ambassadeurs, déclarer la guerre et conclure des traités. Au niveau des emblèmes, l'article XXXVI de sa constitution, précise :

Pourra ladite Compagnie équiper et armer tel nombre de vaisseaux qu'elle verra bon être, soit de guerre ou de commerce, arborer sur l'arrière d'iceux le pavillon blanc avec les armes de France.

Merci Andy pour ces précisions.

Dans l'intervalle j'avais complété mon message.

Le gréement est particulièrement soigné, même si il ne vous aura pas échappé qu'il manque les enfléchures des gambes de revers.



Les voiles sont très correctement ferlées, les vergues abaissées sur leurs tons respectifs.





Enfin, les flancs du navires pouvant s'ouvrir, on distingue l'intérieur de la cale.



Le puits aux câbles.



Une cloison transversale et sa porte coulissante s'ouvrant sur l'une des soutes. Les doubles couples sont montés selon les règles : varangue et demi-varangue, genou, allonges.



La carlingue et l'étambrai du grand-mât ainsi que l'archi-pompe, la structure qui protège pieds et colonnes des pompes.

La visite est terminée, n'oubliez pas le guide.

Citons enfin trois vaisseaux de la Compagnie des Indes qui ont marqué l'Histoire :

- Le Saint-Géran de 1736, 600 tx de l'architecte Cambry père. Son naufrage dans la nuit du 16 au 17 août 1744 entraînera dans la mort la jeune passagère Louise Augustine Caillou, 20 ans, dont le triste destin inspirera à Henri Bernardin de Saint-Pierre la mort de Virginie. A ce sujet, ne vous fatiguez pas à chercher ce qui en est dit sur Wikipedia, c'est moi qui ai rédigé l'article.

- Le Berryer de 1759, un 900 tx de l'architecte Groignard lancé en 1759. Désigné comme bâtiment principal pour la première expédition de Yves Joseph de Kerguelen parti rechercher le mythique continent austral, il n'ira pas plus loin que l'Isle de France, jugé trop lourd par le navigateur qui lui préférera la flûte la Fortune et la Gabarre le Gros Ventre (c'est un oiseau des Mascareignes, pas Coyote de profil) pour la poursuite de son voyage.

- Le Duc de Duras de 1765, autre 900 tx de Groignard, qui sera converti en navire de guerre (tous les bâtiments de la Compagnie peuvent l'être) et offert aux Insurgents américains. Rebaptisé Bonhomme Richard, du nom de l'almanach publié par Benjamin Franklin, il sera commandé par John Paul Jones.

That's all folks !

Superbe, je n'ose imaginer les heures de travail pour autant de détail. 

Incidemment, hier je suis tombé sur "l'exploration maritime sous-marine au dessus de l'épave de la Lune" sur Youtube.  Visiblement époque Louis XIV et navire semble t'il important. 

Bon c'était le hasard...

Michel a juste posté son message pour voir si vous suiviez. Il sait très bien que les gambes de revers et le trélingage, c'est ça (oubliez les traits violet) :

Pas tout suivi...   mais je viens d'apprendre alors ... 

Merci pour toutes ces précisions qui font la richesse de notre forum.

Pour les néophytes, les gambes de revers n'ont aucun rapport avec le trélingage qui sert à solidariser les nappes de haubans qui se font face et à éviter qu'ils ne soient tirés sur l'extérieur du fait de la traction des gambes de revers dont les sommets sont accrochés aux bords de la hune. C'est pour cela que le trélingage est installé au niveau des quenouillettes d'où partent les gambes de revers.

Des explications aussi claires que les cours de Physique cantique avant de se rendre compte que... M... c'est pas le bon amphi.

 

Et encore, la distinction entre pendeur de caliorne et pendeur de candelette n'était pas au programme.

Et pis quand on rentre dans un amphi et qu'on voit que le prof porte une perruque poudrée, un habit bleu, gilet, culotte et bas rouges, c'est facile de se rendre compte qu'il ne donne pas un cours sur les attaques d'ovnis au Vietnam ou alors faut avoir fumé un rouleau de printemps..

Et cela se fume bien le rouleau de printemps ?

Quant on NEM!  

C'est tout bon. Le bastet est également appelé quenouillette, voire saucisse quand cet élément est constitué de cordages réunis entre-eux.

Alors là saucisse je comprends mieux, ça se rapproche de Maria.

J'en étais sûr ! J'attendais quelque chose comme la Bratwurst sauce Schaschlik, mais c'est vrai que nous avons notre égérie.

Oui, mais Maria c'est Chipolata, lesquelles sont appelées dans le Forez Godiveaux, ne me demandez pas pourquoi...

Grâce à Nico et Michel, j'ai beaucoup enrichi mes connaissances sur cette belle province.

Je ne savais rien de la saucisse de godiveau ni du godiveau lui-même. J'ai donc relu les 12 volumes de l'Histoire Naturelle de Buffon consacrés aux quadrupèdes pour en savoir plus. Il s'agit, selon le naturaliste, d'un gros mammifère endémique du Forez, dont le mâle est couvert de poils et la femelle, la godiva, est à poil.

Et l'histoire ne dit pas si elle y alla...

Mais peintres et sculpteurs si.